Ma femme préfère les femmes 1

C'est étrange comme le destin peut vous jouer des tours, vous prendre comme bouc émissaire et s'amuser à chambouler votre vie de façon si cruelle. Tout me souriait, une vie heureuse et sereine, un boulot passionnant, une femme adorable, deux enfants mignons comme tout, et en si peu de temps tout vient de s'écrouler. Assister à ma propre chute sans me battre me semble logique, un juste châtiment, le prix à payer pour des années d'égoïsme, de boulot acharné, de course à la promotion, et tout cela aux dépens de ma vie familiale… C'est avant que j'aurais dû réagir, m'inquiéter ou sentir venir le danger, et tout faire pour que cela n'arrive jamais. Aujourd'hui, il est trop tard, j'ai tout perdu. Je traverse le salon d'un pas chancelant, sur des jambes lourdes qui ont du mal à me guider, comme si elles appartenaient à quelqu'un d'autre. J'ai la désagréable impression d'être une marionnette manipulée par une volonté pleine de bonnes intentions, mais manquant réellement d'expérience dans son art. Je me fais violence pour sortir de cet état végétatif dans lequel je sombre lamentablement, fonçant sur ma télévision d'une démarche un peu plus assurée. Ma décision est prise. Je dois connaître la vérité, même si le mal est déjà fait. Le seul moyen d'en être sûr est de visionner ce foutu film. Là, j'en aurai enfin le cœur net, le triste dénouement d'une sombre histoire. Tant de folies qui me paraissent incompréhensibles, qui ont pris ici des proportions démesurées. C'est ce matin de fin d'été que tout s'achève, et l'appréhension de ce que je vais voir me fait encore hésiter. La vérité me flanque la frousse, je ne peux le nier, mais j'éprouve la sensation encore plus forte et plus insidieuse de satisfaire une curiosité presque malsaine. Je m'installe nerveusement sur mon canapé, gardant d'abord les yeux fixés sur la table basse, là où sont posés un verre et une bouteille de Martini. Un petit remontant dont je vais bien avoir besoin… J'évite le papier qui traîne à côté, avec ce message immonde qui vient de me frapper en pleine figure, que je viens de lire il y a deux minutes : « Ta femme m'appartient, elle est à moi maintenant, et en voici la preuve. Signé. Laure.» Pour l'instant, je ne peux me résoudre à regarder l'écran. Je ferme les yeux, retiens mon souffle, rouvre les yeux en levant la tête. Je laisse échapper l'air de mes poumons, avec le sentiment de fondre sur place en affrontant les premières images. Ce n'est pas un camescope numérique, la qualité s'en ressent péniblement. Une image affreuse, des couleurs qui bavent, avec des défauts de granulations et de contrastes dans les scènes sombres qui accentuent le côté glauque et réaliste du film amateur. Je distingue un enchevêtrement de corps nus, de membres entrelacés, de seins et de pubis qui apparaissent dans un flou qui n'a rien d'artistique, et pendant un long moment il m'est impossible de reconnaître qui que ce soit. L'image tremblante se perd d'un coup vers le plafond, si haut qu'il en est invisible dans les ténèbres, puis redescend le long de pierres dures et lisses, couleur grenat, faiblement éclairées par quelques torches qui brûlent dans des niches creusées dans la paroi. Les murs sont à peine décorés de tissus perlés et de rares sculptures en cire, comme ces visages de femmes aux traits figés dans un masque de luxure, abaissant leurs regards torves vers le sol. Leurs têtes coupées forment une rangée superposée, inclinées dans un angle grotesque, ce qui ne les rend que plus sinistres. De toute façon, tout semble lugubre et macabre, un décor gothique assez effrayant, renforcé par l'architecture imposante, écrasante même. Mais le décor me semble vite anodin lorsque l'image descend se fixe sur une dizaine de lits immenses, recouverts de lin, posés dans le même alignement à distance égale. Le camescope va rapidement de l'un à l'autre, comme cherchant quelqu'un, et ce à une telle vitesse que je ne distingue plus rien. Enfin, l'image s'arrête sur un lit et n'y bouge plus. Un zoom plus précis se fixe sur les personnes qui s'y ébattent joyeusement dans une mélodie de soupirs extasiés. La chevelure flamboyante de Laure étincelle un instant dans ce mélange de chairs impudiques, mais pas son visage qui reste enfoncé dans la fourche d'une cuisse féminine. En voilà une qui passe du bon temps, mais sa présence n'a rien de surprenant, je m'y attendais. Le décor est maintenant planté. On est là en pleine…

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MARDI 1 MARS 2005

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