L'OBSESSION J.

J'avais posé sur mon bureau un calendrier imprimé sur la photo d'une star à la mode. Non que je fus obsédé par le mec en question mais disons que j'éprouvais à l'égard de son côté rebelle une sorte de respect naturel. Je songeais qu'il avait tout de l'anti-star et que cette opposition ouverte à la secte hollywoodienne me le rendait fort sympathique. Comme il est franchement très à la mode et qu'il serait de mauvais ton de le désigner, je le nommerai simplement J. La photo de J reposait donc sur son petit présentoir, obliquement à mon regard et je n'y portai d'abord pas réellement attention. Puis, au fil des jours et des semaines, sans même m'en rendre compte, il me fallut admettre que je regardais bien souvent mon calendrier. D'emblée, ce genre de mecs me laissaient en général de glace : trop beau, trop jeune, trop populaire. Mon œil se piège à la séduction des intellos un peu quelconque qui cachent un potentiel sexuel redoutable. Les mecs trop sexy, trop top muscu finissent par n'avoir plus rien à offrir tant ils exposent leurs apparats quotidiennement. Ainsi, je ne m'inquiétais pas pour J, lequel portait toutes ces qualités avec une grâce infinie. C'était une sorte de nouveau James Dean, en rupture avec les conventions, qui souhaitait révolutionner le monde. Il participait volontairement à plusieurs œuvres de charité sur tous les continents et voulait que l'on reconnaisse sa valeur sur des bases autres que sa beauté singulière. Il avait un cran fou, une audace de dingue et semait autour de lui la controverse nécessaire à la réussite de plusieurs tabloïds. J était partout, à la télé, sur Internet, dans les journaux. J'avais repéré plus de cinq cent mille sites dédiés à la star sur le net. C'est dire combien la planète entière s'était entichée de ce jeune homme passionnant. Je voyais parfois ses films, parfois non lorsque les critiques me semblaient trop mauvaises. Il évoluait dans une carrière en dents de scie où les frasques de sa vie amoureuse retenaient davantage l'attention que n'importe laquelle de ses prestations cinématographiques. Et je dois admettre que cette surexploitation de son image m'exaspérait souvent. La médiatisation excessive que l'on fait de certains individus les prive quelquefois de toute forme de crédibilité. C'est un peu la raison pour laquelle je ne portais pas plus attention à mon foutu calendrier. Le jour du 17 juin, pourtant, le regard de cet acteur britannique me terrassa. Aucun présage symptomatique n'avait précédé le choc. Il y avait déjà si longtemps que son regard figé me jugeait doucement et puis vlan ! La chute ! Je tombai littéralement dans un gouffre d'étrangeté, comme happée par une force indifférente au monde réel. En une fraction de seconde, j'étais devenu la créature de J. D'heure en heure, mes yeux multipliaient les arrêts sur le visage de J. Je remarquai son regard halluciné, les paradis de lumière dans ce regard… Tout son visage m'éblouit : son front altier et intelligent, l'arête fine de son nez droit et austère, l'agréable sillon au-dessus de sa lèvre supérieure et la chair froissée de ses lèvres un peu trop abondantes. De fins sourcils bordaient son œil et lui conféraient quelque trait exotique. Son iris bleu ne présentait rien de bien spécifique sinon l'étrange lueur qui semblait y brûler par tous les temps. Les tempêtes perpétuelles dans l'âme de ce jeune intrépide jaillissaient de son regard éloquent et la simple observation de ces yeux-là pouvaient fournir matière à thèse. Ses cheveux coupés avec désordre renforçaient son air de loubard. Il était assis, le dos un peu courbé dans une pose assez délicate. Ses épaules laissaient paraître une ossature fine et l'absence de poils sur ses avant-bras accentuaient son allure ambiguë. Un tatouage à la symbolique mystérieuse trônait sur le haut de son bras droit pour renchérir son sens de la controverse. Et moi, je ne détachais plus les yeux de cette photo maudite, complètement absorbé par l'androgynie de ce personnage fascinant. Une sorte d‘érotisme violent se dégageait de toute sa personne. Je m'en rendais bien compte maintenant qu'à chacun des regards que je lui portais, mon ventre frémissait d'un émoi que je ne connaissais pas encore. J me conviait silencieusement à de drôle de noces, d'étranges banquets solitaires pendant lesquels je me réjouissais des images qu'il suscitait en moi, pendant lesquels je me repaissais des fantasmes, qu'à son insu, il semait dans mon corps. Il me devint si familier que bientôt je délaissai la société qui m'entourait pour me retrouver…

» rencontres à Vaux-sur-Mer

VENDREDI 8 JUIN 2007

Pour répondre à cette annonce et voir la vidéo, Veuillez indiquer :

@